D’ici et d’océan - regards d’exil
«Ayooo, ayooo, mo gagne di mal…» Traduction :« Aie, aie, je souffre.» Le cri d’un patient admis au deuxième étage de l’hôpital Candos Victoria (Quatre-Bornes) à Maurice se fait de plus en plus fort.
Ses plaintes finissent par remplir toute la nouvelle aile de l’hôpital. Il est environ 19 heures, en cette journée de fin de décembre. Mais cela aurait pu être aujourd’hui.
Cela aurait pu être hier. Cela aurait pu être demain. Cette nouvelle aile est un bâtiment d’une dizaine de mètres de hauteur. Murs et sols carrelés blancs. Les fenêtres sont de grandes baies vitrées d’où se dessinent les collines et arbres verdoyants. Et on entend le concert joyeux d’oiseaux tropicaux: cardinaux, moineaux, condés, martins. Il y a trois étages. Au troisième, se trouvent les deux salles réservées aux femmes. Au deuxième, les deux salles des hommes. A partir du vestibule, du troisième étage, je vois un peu ce qu’il se passe à l’étage du dessous. Des patients tenant à peine sur leurs jambes ramènent d’eux-mêmes leurs assiettes après le repas. Je me retrouve dans ce lieu pour ma mère de 82 ans. Mon avion de Paris a atterri le matin même. Ma maman s’apprête à quitter l’hôpital après un séjour d’une semaine à la suite d’ un accident de la route à Quatre-Bornes. Exergue : « Missié la pé crier. Banne lézot patients bizin comprend» Ici, les gémissements sonores sont perçus comme normaux. «Les cris de cet homme ne dérangent pas les autres patients», demandais-je à une aide-soignante. « Ici éna de tout. Ena li pied cassé, lé bras cassé. Tout éna.. Missié là gagne di mal. Banne lézot patients bizin comprend », me répond avec aplomb la dame de service. Dans cette grande salle, se trouvait une dame âgée qui parlait sans arrêt seule mais aussi une jeune fille de 15 ans qui s’était tailladée les bras.
Les conditions d’hospitalisation sont un crève- coeur. Lorsque l’on s’est expatrié ou qu’on a immigré en France et que l’on a laissé derrière soi ses parents et proches, le moment où ils tombent malades est dur. Notre chair d’exilé.e se déchire alors entre l’hémisphère nord et sud. Et lorsqu’on voit ces grandes salles communes, d’environ trente mètres carrés avec une trentaine de lits côte à côte, un espace de moins de deux mètres entre eux et où un patient ne peut dormir à cause du bruit et ne peut donc récupérer facilement, cela inflige un déchirement à l’âme. Personnellement, tout mon être a hurlé de douleur. J’ai prié fort pour que les conditions d’hospitalisations s’améliorent. C’est sans doute le sentiment que vous aviez aussi déjà ressenti, si de France vous avez visité un proche hospitalisé dans le public.
Tous les soins nécessaires à Candos Attention, au niveau des soins, maman était plus que satisfaite. Elle a vu défiler tous les spécialistes :orthopédiste, kinésithérapeute, dentiste, médecin généraliste…Ce qui lui a manqué ce sont les petites attentions qui font tellement de bien quand on a vécu un traumatisme.
Au hasard d’une sortie par bus, Nathalie, 57 ans, monte à l’arrêt TangsWay à Beau-Bassin en face de la succursale de la banque commerciale de Maurice. Elle porte un gros bandage au pied. Le bus n’a pas de rampe d’accès pour les personnes à mobilité réduite. Les «bus plat » existent. Mais ne sont pas nombreux. Lorsque la loi pour l’égalité des droits et des chances pour les personnes handicapées ou à mobilité réduite a été votée en 2005 en France, beaucoup de commerces, transports et même d’administration estimaient qu’il allait être impossible de rendre leurs services accessibles.
Aujourd’hui en France, presque tous les services ou établissements disposent d’une rampe pour les personnes à mobilité réduite. D’après les dires de Nathalie, elle s’est rendue au dispensaire de Beau-Bassin (area health center) pour faire son pansement car le service y est meilleur. « Mo habite Quatre-Bornes, normalement mo ti bizin alle Candos pour faire mo pansement. Mais là-bas banne là brite. Mo préfère vine Beau-Bassin ».
Mis à part le choc de voir les conditions d’hospitalisation à Maurice, cette immersion au pays a été un vrai plaisir. Les Mauriciens et Mauriciennes possèdent cette vraie politesse du coeur et une attention envers autrui que l’on ne trouve sans doute nulle part ailleurs. Exemple : j’étais allongée sur un banc devant le plazza à Rose-Hill pour profiter du soleil et me défatiguer. Une dame inquiète vint vers moi : «Madame ou korek.» Elle pensait que j’avais fait un malaise…Une autre fois, à Mahébourg, je voulais me frayer un passage sur un trottoir bondé et bruyant..J’avais dit ‘pardon’ à un Monsieur qui ne m’a pas entendue. Un commerçant le tira par les bras, fâché et lui faisant signe de me laisser passer.
Arlyne Jeannot
Arlyne Jeannot est une journaliste franco-mauricienne. Elle a travaillé à la fois à Maurice et en France comme journaliste. Elle a fait partie de l’équipe qui a lancé Radio One, première radio privée de Maurice en 2002. Elle aime passionnément son île natale et y retourne tous les ans.